Un amendement voté provoque l’émoi
La discussion budgétaire est traditionnellement le moment des débats houleux et prises de position enflammées concernant tel ou tel amendement, voté en commission des finances ou lors des débats en séance plénière (LCP, Electricité, automobile, meublés de tourisme… En commission, les députés écrivent leur version du budget 2025).
Les articles de presse, communiqués sur les réseaux sociaux, plateaux télévisés se succèdent alors pour commenter les mérites ou au contraire les défauts que présente telle ou telle mesure, qu’il s’agisse de modifier le régime du Pacte Dutreil lequel garanti la pérennité des PME familiale, la fiscalité sur les mutations immobilières laquelle pourrait freiner la fluidité du marché immobilier voire du travail, ou encore la très critiquée fiscalité des revenus fonciers et des dispositifs fiscaux incitatifs qui aggraverait le manque de logements déjà palpable.
Parlementaires, représentants d’intérêts, associations, syndicats professionnels, essayistes, chroniqueurs, commentent, critiquent, fustigent, soutiennent, exigent tel ou tel ajustement, quand d’autres vont jusqu’à déplorer l’effondrement économique probable, pour ne pas dire certain, qui en découlerait.
Pourtant, les effets d’un amendement sont limités voire inexistants
Tous ces palabres paraissent toutefois bien lointains pour le juriste, puisqu’un amendement n’a en soit aucune valeur juridique. Même adopté, il ne constitue pas une source juridique opposable tant que le processus législatif n’est pas achevé.
Pire encore, s’agissant des lois de finance, et particulièrement avec les équilibres politiques actuels, il est fort probable que la plupart sinon la totalité des amendements, même s’ils sont adoptés, soient purement et simplement jetés à la poubelle sans réellement intégrer l’ordre juridique.
Le tri a déjà commencé. L’ensemble des amendements adoptés par la commission des finances dans le cadre de la préparation du budget ont été purgés par le vote sur le texte final. Le texte tel que modifié en commission a été rejeté par une majorité des membres de la commission (PLF 2025 : rejet de la 1ère partie par la commission des finances).
De ce fait, le texte présenté à l’Assemblée pour le débat en plénière sera le texte du gouvernement. S’il est possible de réintroduire des amendements qui seront débattus, il n’y a là encore aucune garantie de l’issue.
Notre compréhension de la Constitution et de la loi organique sur les lois de finance nous conduit à penser qu’il est fort probable que le texte qui sorte de l’Assemblée soit encore celui du gouvernement, soit par le recours à l’article 49 alinéa 3, soit par l’épuisement du temps imparti au débat, compte-tenu du très grand nombre d’amendements à discuter, bien que des retraits soient en cours (BFMTV, Budget: Éric Coquerel s’alerte du nombre d’amendements déposés par certains groupes).
Dans l’une ou l’autre de ces hypothèses, le texte transmis au Sénat sera celui du gouvernement, sans qu’il n’ait été tenu compte d’aucun des amendements votés.
Pour éviter de s’égarer, garder son cap face aux amendements votés
Pourquoi alors autant de commentaires ? La stratégie n’est pas toujours strictement juridique, comme l’a rappelé récemment dans un billet Pierre Desmarais (Militantisme associatif : des objectifs nobles, des stratégies périlleuses).
Au parlement, certains peuvent s’enorgueillir d’avoir mis le gouvernement en minorité (BFMTV, Budget: deux amendements abrogeant la réforme des retraites adoptés, victoire symbolique pour la gauche ; La Nouvelle République, Budget 2025 : la gauche et certains macronistes retirent des amendements pour accélérer les débats) ou encore que la minorité la plus représentée se soit fragmentée sur quelques votes (LCP, Budget 2025 : l’Assemblée nationale élargit et pérennise la surtaxe sur les hauts revenus en première lecture ; Le Point, Budget 2025 : le pacte Dutreil sur la transmission d’entreprise en danger ? ; LCP, Taxe sur les « super-dividendes » : les députés votent un amendement MoDem contre l’avis du gouvernement). D’autres peuvent pointer la contradiction qu’il y a à débattre et voter des amendements, pour finalement les rejeter en bloc en désapprouvant le texte final. Tous déplorent un débat rendu stérile, car concentré sur quelques amendements et sans réelle discussion sur la logique d’ensemble du budget et l’orientation globale souhaitée.
En dehors de l’Assemblée, il peut également y avoir à gagner, qu’il s’agisse d’exercer une influence sur les pouvoirs publics ou sur les milieux économiques, par exemple en promettant des solutions permettant de se prémunir de changements fiscaux défavorables.
Il est donc nécessaire de prendre du recul sur les amendements, puisqu’il est très probable qu’ils n’intègreront pas l’ordre juridique, sauf à laisser la stratégie d’autres acteurs altérer la sienne.