Quand je me suis rendue à la librairie pour commander, « Personne morale » de Justine Augier, le libraire m’a indiqué qu’il était en rupture de stock et précisé : « c’est surprenant parce qu’habituellement, les éditeurs anticipent les volumes, il va falloir attendre… ». C’était de bon augure !
Dans cet ouvrage, Justine Augier raconte comment un géant du ciment se retrouve accusé par trois jeunes avocates d’avoir financé l’État islamique dans le but de maintenir en activité son usine syrienne implantée à Jalabiya (80 kilomètres de Raqqa) entre 2011 et 2015, en pleine guerre. Je vous partage ce livre non pas en lien avec les récents événements syriens, mais pour mettre en exergue l’incroyable force de conviction, courage et abnégation d’une poignée de juristes pour un combat que beaucoup qualifierait de « perdu d’avance » : accuser un fleuron de l’industrie française qui emploie des milliers de collaborateurs dans le monde, une « personne morale », de crime contre l’humanité.
L’autrice décrit parfaitement le pot de fer contre le pot de terre : d’un côté de jeunes juristes œuvrant dans des associations (en France et en Allemagne), bas salaires et menus moyens et de l’autre le groupe Lafarge, leader mondial du ciment, fierté française avec filiales et holdings par centaines, affichant des milliers et milliards d’euros de chiffre d’affaires. Au centre campe une plainte pour « financement d’organisations terroristes », « mise en danger d’autrui » et « complicité de crimes contre l’humanité ».
La lecture est passionnante, étayée, sobre et j’ai retenu cette scène qui résume à lui seul l’inégalité du combat : « […] elles commencent à voir arriver les avocats de Lafarge International au tribunal, dans des costumes dont chacun devait valoir plus d’un mois de nos salaires. […] ils sortent les uns après les autres de leurs berlines aux vitres teintées et on les a comptés : ils étaient dix-neuf, tous des hommes ». Un rapport de force dont les jeunes femmes sont habituées explique l’autrice. Seulement ces jeunes femmes sont portées par la conviction qu’il est primordial de faire avancer la norme. La norme selon laquelle une « maison mère » n’est pas responsable des activités de ses « filiales » surtout lorsqu’elles sont à distance géographique, politique et social du siège social. Et les avocats du groupe, par quoi sont-ils portés pour s’en défendre ? Qui gagne et comment ? La suite dans les pages de Justine Augier.