Cinq ans. Cinq ans déjà que le Président de la République a pris la responsabilité de confiner la France. Bonne ou mauvaise décision ? Aucune idée. Et aucune envie de nous prononcer.
Ce qui nous intéresse, c’est de voir à quel point ce mot reste accroché à toutes les lèvres. Les difficultés à recruter. Le Confinement. Les liquidations en série. Le Confinement. Les changements de mode de vie. Le Confinement, enfin !
A l’occasion de cet anniversaire – dont on peut se demander qui pourrait sérieusement avoir eu envie de se le remémorer – ont été rediffusées les images de rue entièrement vides et mis en avant des témoignages de personnes… presque nostalgiques de cette époque.
Interférence rétroactive ? une réécriture du souvenir initial, à l’aune de cooccurrences proches, plus neutres (Michael W. Eysenck, Psychology, a student handbook, Hove, UK, Psychology Press, 2000, 979 p. (ISBN 0-86377-474-1), p. 332) ? Avec le temps, tous les souvenirs sont bons, déclamait Jean Réno dans un film… moins mémorable que Léon. Et les études pointent un déficit mnésique depuis cet évènement (Cinq ans après le Covid-19 : comment le confinement de 2020 a profondément altéré notre mémoire et nos souvenirs, Le Monde, 17 mars 2025).
Ancrage ? ce Confinement marquerait ainsi d’une pierre blanche un phénomène larvé dans la société, un état d’esprit particulier au niveau de l’individu ? une hypermnésie historique qui permettrait de se rattacher à un évènement, faute de se rappeler la date.
Nécessité de meubler une actualité assez pauvre ? pas besoin d’un dessin. Peu probable, vu le contexte.
Vous nous voyez venir, n’est-ce pas ? Et s’il y avait un usage stratégique du souvenir ?
Tactiquement, l’utilisation du souvenir est éculée. La diabolisation de l’adversaire en recourant à la « Loi de Goodwin » est devenue l’argument phare – qui a dit ridicule ? – de Vladimir Poutine contre le Président de l’Ukraine.
Échafaudons.
Face à une population agacée. Face à un contexte sécuritaire incertain, au niveau national et international. Après avoir remis au goût du jour les lapalissades météorologiques (oui, les beaux jours succèdent toujours à la pluie… et inversement, mais c’est moins vendeur). Ne sert-on pas les intérêts d’une ancienne majorité en présentant le confinement comme une période de grâce (rappelons que certains l’ont trouvé dans le métro parisien, probablement pas la ligne 13, notez) ?
A l’inverse, rappeler inlassablement qu’un Président de la République – confronté à une situation inédite, à sa décharge, et d’ampleur mondiale – n’a-t-il pas pour effet de dresser l’auditoire contre sa couleur politique, au travers de l’homme ?
Sur un tout autre versant, celle d’une guerre économique et commerciale, et dans un tout autre perspective, médiatique cette fois, face à une population agacée, quel média ne saisirait pas au [re]bond un tel sujet ?
De fait, les sujets mémoriels nous (oui, nous sommes tous concernés) vendent une autre vision de notre passé et donc de notre présent.
Mais pourquoi donc ? Pour une raison qui, si elle n’est pas stratégique (quoique) est à minima tactique : notre temps de cerveau disponible.
Pour rappel et comme l’avait énoncé Patrick Le Lay, en 2004, alors qu’il était PDG de TF1 : « Le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. »
Vous aurez donc deviné notre raisonnement et notre interrogation.
En surfant sur des propos politiques, en les amplifiant et en nous proposant une célébration d’une époque révolue, celle ou les français applaudissaient collectivement à 20h00, l’heure de la grand-messe télévisée, les médias ne cherchent-ils pas à nous déstresser, à nous extraire d’une actualité “de guerre” peu propice à la consommation ?
De fait, si nous avons su surmonter l’épreuve du confinement et de la COVID, en quoi ne pourrions-nous surmonter celle qui se déroule à plus de 2 000 km ?
En parodiant Francis Bacon, Beaumarchais ou même Machiavel puisqu’il faut toujours revenir à ce théoricien de la politique et de la guerre : Communiquons, communiquons, il en restera toujours quelque chose !
Laurent Mignon & Pierre Desmarais
Crédit photo : Alfredo López, Adobe Stock