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La légalité, contingente de l’efficacité d’une stratégie juridique ?

La légalité est une condition nécessaire à l’efficacité des actes juridiques

Du point de vue du juriste, la légalité paraît indispensable à l’efficacité d’une stratégie juridique.

En matière de contrats, par exemple, « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes moeurs » (Code civil, article 6). Le contrat qui contrevient à la loi paraît donc devoir être voué à la sanction.

De même, en matière de règlements, l’administration est tenue d’abroger un règlement illégal, qu’il le soit ab initio ou qu’il le soit devenu du fait d’un changement des circonstances de fait et de droit (Conseil d’Etat, 3 février 1989, n°74052).

Des acteurs économiques, issus notamment du monde des start-up érigent l’illégalité en stratégie

Pourtant, d’autres érigent l’illégalité en stratégie. Peut-être cité en ce sens Oussama Ammar : « l’ancienne figure de proue de la «start-up nation à la française» déclare sur le ton de la sentence qu’il «faut respecter la loi», avant de se dédire immédiatement en affirmant qu’«il y a des lois qu’on peut ne pas respecter parce qu’on les considère comme idiotes» »  (LeFigaro.fr, Oussama Ammar au cœur d’un conflit d’urbanisme en Normandie qui pourrait lui coûter très cher, par Richard Flurin, Publié le 22/10/2023). On peut citer également sa participation à un podcast titré « Faire de l’argent en étant borderline ».

D’autres affaires d’ampleur peuvent illustrer le recours récent à cette stratégie par des acteurs du monde économique. La légalité des modalités d’exercice par Uber France a pu également poser question, pourtant l’entreprise s’est implantée et a prospéré malgré les difficultés liées à la réglementation du transport et au droit social (Dalloz Actualité, Uber France : exercice illégal de l’activité d’exploitant de taxi et enregistrement ou conservation illicite de données concernant une infraction, 13 décembre 2023, Méryl Recotillet).

Il est permis de penser qu’elle espérait provoquer des ajustements législatifs permettant la création d’un cadre spécifique, ce qui a pu être entrepris d’une certaine manière par le législateur dont l’objectif était de « clarifier les obligations et droits de chacun, pour organiser durablement le secteur et pour garantir une concurrence équilibrée » entre taxis et VTC (LOI n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, rapport sur la mise en application de la loi, p. 1).

Une illustration récente d’une illégalité efficace : l’utilisation de la doctrine de l’administration fiscale pour contourner la loi de finance

Lors de l’adoption de la loi de finance de 2024, un amendement a été adopté pour supprimer de la loi fiscale l’abattement de 71% sur les recettes dont bénéficient les loueurs de meublés de tourisme. Cet amendement adopté figure dans la loi et son maintient semble résulter d’une erreur de légistique lors de la procédure parlementaire, qui a conduit le gouvernement à le faire adopter contre son avis.

L’administration fiscale a alors entrepris de réparer cette erreur, en des termes on ne peut plus clairs :

« L’article 45 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 modifie les modalités d’application du régime des micro-entreprises pour les activités de location meublée de tourisme. Cet article prévoit notamment, pour les activités de location de locaux meublés de tourisme non classés, la baisse du seuil de chiffre d’affaires d’application du régime des micro-entreprises à 15 000 € et fixe l’abattement représentatif de charges à 30 %. Les dispositions de cet article sont réputées s’appliquer aux revenus de l’année 2023, y compris lorsqu’elles ont pour effet de faire basculer des contribuables du régime des micro-entreprises vers un régime réel d’imposition du fait de la baisse du seuil de chiffre d’affaires d’application du régime des micro-entreprises. Cette modification impose aux contribuables concernés de reconstituer a posteriori une comptabilité commerciale pour l’année 2023. Les contribuables peuvent donc appliquer, dès l’imposition des revenus de l’année 2023, les modifications issues de l’article 45 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024. Toutefois, afin de limiter les conséquences d’une application rétroactive de cette mesure à des opérations déjà réalisées, il est admis que les contribuables puissent continuer à appliquer aux revenus de 2023 les dispositions de l’article 50-0 du CGI, dans leur version antérieure à la publication de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024. Les commentaires présentés au présent I-B § 55 ne tiennent pas compte des modifications apportées au dispositif par l’article 45 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024. » (BOI-BIC-CHAMP-40-20 du 14 février 2024).

Le Conseil d’Etat censure la doctrine de l’administration et en prononce l’annulation au motif que l’administration a « incompétemment ajouté à la loi » (Conseil d’Etat, 8 juillet 2024, n°492382).

Malgré cette annulation, la doctrine de l’administration a produit tous ses effets pour la déclaration des revenus de 2023. Les contribuables peuvent continuer à se prévaloir de la doctrine annulée pour la période antérieure à l’annulation (Conseil d’Etat, 8 mars 2013, n°353782).

La doctrine aura donc produit tous ses effets au profit des contribuables et contrecarré, au moins en partie le texte adopté par le législateur, malgré son illégalité et sa sanction par le juge administratif.

Une stratégie pourtant souvent peu payante pour les acteurs économiques

L’administration fiscale illustre ainsi qu’il est possible de faire produire tous ses effets à un acte illégal et d’obtenir les effets attendus, pour autant qu’on accepte le risque induit. C’est bien souvent sur ce point que cette stratégie achoppe : les risques doivent être évaluées et tenir compte de l’ensemble des paramètres, à la fois civils (validité de l’acte, indemnisation, etc.) et pénaux.

C’est ce qu’illustrent les décisions de justice successives rendues concernant Uber, cette stratégie se retournant progressivement contre cette société pour former des obstacles qui peuvent devenir insurmontables. De même, les décisions de justice rendues dans les affaires The Family en démontrent les limites (LeFigaro.fr, Oussama Ammar condamné à verser plusieurs millions d’euros dans l’affaire The Family, par Richard Flurin, publié le 06/12/2023).

De ce fait et contrairement à ce qu’avance Oussama Ammar, la stratégie de l’illégalité ne paraît pas présenter de réel avantage. Elle est même fortement déconseillée, en dehors du cas spécifique jugé par le Conseil d’Etat, qui paraît constituer une des rares applications efficaces de cette stratégie.

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