Le droit est clair : la commission d’enquête parlementaire n’est pas un tribunal. Et dans le cas contraire, le non-respect des droits de la défense, l’impartialité ontologiquement exclue de ses membres vaudraient à la France une belle sanction devant la Cour Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Mais alors, quel intérêt ?
A en croire le constituant, il s’agirait d’un outil de renseignement. Un outil conçu pour collecter « des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Paradoxalement, parmi les rares informations lui échappant, figurent celles ressortant du secret de la défense nationale, relatives aux affaires étrangères et à la sécurité de l’État.
Se pose alors la question de savoir si le regain d’intérêt des députés et sénateurs ne masque pas un autre objectif.
La commission d’enquête parlementaire n’est-elle pas devenue un levier stratégique protéiforme, au fur et à mesure de la fragmentation politique de la Nation ?
Lorsqu’elle vise à se saisir de l’actualité, elle adresse un message (dont la cible peut varier en fonction de l’intitulé de la commission ou du sobriquet dont elle s’affuble dans les médias) en même temps qu’elle resserre le lien entre le peuple et ses représentants. « Voyez, nous sommes vos élus et ce qui vous préoccupe nous touche tout autant ».
Un exemple ? La proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le manque de préparation de La Réunion face aux risques naturels majeurs et les conséquences de l’inaction de l’État et des insuffisances des politiques publiques en matière climatique, du 2 mai 2025. Quel intérêt législatif alors que la Commission d’enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d’outre-mer a été clôturée moins d’un an avant, le 27 mai 2024 ?
Elle peut être actionnée aux fins de lutter contre le Gouvernement, de lui résister ou d’entraver son action. Ainsi la fonction de contrôle, et le rapport public qui en découle, permet-il de contourner les éventuels obstacles à l’inscription d’un point à l’ordre de jour d’une assemblée, à l’examen d’une proposition de loi. De convoquer le Gouvernement ou l’un de ses membres devant le Tribunal de l’Opinion Publique, juridiction d’exception, s’il en est. La médiatisation des conclusions de la commission vise à prendre la population à témoin de ce que l’exécutif poursuivrait des intérêts différents de ceux du peuple. Ce qui n’est pas, juridiquement, forcément problématique. En effet, en droit, la notion d’intérêt général supposant de voir plus loin que le ressenti de la population à un instant T.
Ici, délicat de décorréler la Commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements, proposée le 17 novembre 2023, des rapports, livres et autres dénonciations parus entre le printemps 2023 et le 16 septembre 2024.
Et puis elle peut aussi être un moyen dilatoire. Si les élus, l’exécutif se voient sommer de prendre à bras le corps tels ou tels problèmes, la commission peut être mise en œuvre pour ouvrir un espace de parole. L’article 6 de l’ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 offre ainsi un délai de six mois pour rendre son rapport. Et 180 jours, c’est long, à l’heure où les médias organisent la succession des scandales, indignations et autres profanations du « très-bien-vivre-ensemble », pour paraphraser Laurent Obertone. Qu’un rapport sorte in fine (et ce n’est pas même obligatoire, en droit) n’a alors aucun intérêt. L’objectif est en effet souvent atteint avant d’en arriver là, le feu qui couvait ayant été éteint par le ressenti d’une écoute attentive, par des gens importants, dans un cadre sévère. Un peu comme les cahiers de doléance, au final… Et en faudrait-il un que des recommandations sibyllines, des déclarations d’intention, voire de pures La Palissade viendraient s’étaler sur des tomes et des tomes de paperasse.
La création d’une commission d’enquête parlementaire n’est pas un simple outil constitutionnel permettant d’éclairer les représentants de la Nation. Elle est une arme stratégique, une tactique, permettant à des parlementaires d’atteindre un objectif ou d’empêcher le Gouvernement de réaliser les siens.
Ce qui lève une autre question, non ? N’est-ce pas, au-delà de ces considérations, un exercice de communication ?
Laurent, à toi la balle !