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Ikea: surveillance, réutilisation de données et vie privée

Spécialiste du meuble en kit à l’appellation imprononçable, IKEA s’était distinguée il y a un peu plus de dix ans quand des dirigeants avaient été accusés d’enquêter illégalement sur des futurs salariés et clients en collectant joyeusement des données personnelles à leur insu.

La justice est lente, et ce n’est que tout récemment que la chambre criminelle de la Cour de cassation et la cour d’appel de Versailles ont rendu deux décisions dans cette affaire, l’une concernant les poursuites pénales à l’encontre d’un enquêteur privé, l’autre concernant le licenciement du directeur général (Cass. crim. 30-4-2024 n° 23-80.962 FS-B ; CA Versailles 7-3-2024 n° 16/05293).

Pour une fois que ce n’est pas dans le cadre d’un problème d’illicéité de la preuve qu’est posée la question de la surveillance des salariés, cela vaut la peine d’en dire un mot.

L’enquêteur missionné par la société suédoise avait fait valoir, pour se défendre de la collecte déloyale de données personnelles, de ce qu’il n’avait fait que recenser des informations rendues publiques par voie de presse ou des informations diffusées publiquement sur un réseau social.

Las, ce n’a pas relevé de l’évidence pour les juges qui ont constaté qu’il avait agi sur instruction du directeur de la sécurité de la société commanditaire en effectuant des recherches sur des données à caractère personnel, telles qu’antécédents judiciaires, renseignements bancaires et téléphoniques, véhicules, propriétés, qualité de locataire ou de propriétaire, situation matrimoniale, santé, déplacements à l’étranger etc.

Surtout, l’utilisation sur instruction de ces recherches et recoupements avait fait l’objet d’une utilisation sans rapport avec l’objet de leur mise en ligne, et ont été recueillies à l’insu des personnes concernées, privées ainsi de leur droit d’opposition.

Que ces données personnelles aient été pour partie en accès libre sur internet ne retire donc rien au caractère déloyal de cette collecte a précisé la Cour de cassation, entérinant la décision des juges du fond.

On peut ainsi enquêter sur autrui, mais encore faut-il dûment prévenir d’une telle démarche, et ne pas faire une utilisation autre que celle prévue des informations recueillies.

Ainsi, si on se sent des envies d’enquête de moralité, il convient de :

• toujours informer au préalable les personnes concernées de l’éventualité de telles investigations (C. trav. art. L 1222-4) et consulter le CSE sur la mise en place de telles techniques de contrôle (C. trav. art. L 2312-38) ;

• et se demander si une telle atteinte à la vie privée est justifiée par des raisons objectives et proportionnées au but poursuivi (C. trav. art. L 1121-1) : exercer dans une centrale nucléaire peut justifier de redoubler de précautions, injustifiées chez un fromager ou une librairie.

Dans la même affaire, mais sur un autre plan, le litige porté devant la Cour d’appel de Versailles concernait le licenciement du directeur général de l’entreprise, accusé d’avoir justement planifié l’organisation et la dissimulation dudit système de collecte illégale d’informations personnelles, ainsi que des pratiques illégales et déloyales destinées à mettre en doute la réalité de la maladie d’une salariée en arrêt de travail, manquements à l’obligation de loyauté.

S’agissant du système illégal de collecte d’informations personnelles, la cour d’appel affirme que le directeur était à la fois informé et qu’il eût été de sa responsabilité de faire cesser ces pratiques illégales, ce qu’il ne fit point.

Quant à la surveillance illicite d’une salariée en arrêt longue maladie, elle n’était même pas contestée. On appréciera les moyens mis en œuvre : organiser un faux jeu-concours d’une compagnie aérienne pour pousser la salariée à présenter ses billets d’avion et tampons de douane et tracer ses déplacements.

Dans l’arrêt du 7 mars, la cour d’appel rappelle que le contrôle de la justification des arrêts de travail est légitime seulement s’il est opéré par des moyens licites et loyaux.

Cela faisait beaucoup pour un seul homme, et le licenciement fautif a été confirmé par la Cour.

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