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Faire oublier un contentieux de masse à l’issue défavorable ? Réflexion sur les hiérarchies des juges et des normes jurisprudentielles.

contentieux de masse jurisprudence cassation

Dans la stratégie judiciaire, il est important de tenir compte de l’aléa judiciaire. Dans toute affaire, et quand bien même l’issue paraît acquise, il subsiste un aléa incompressible.

Une des manifestations de cet aléa peut être le courant jurisprudentiel minoritaire. Certaines juridictions, chambres d’une juridiction, ou même certains magistrats peuvent être connus des praticiens comme ayant une appréciation plus ou moins stricte sur une question donnée.

Dans l’affaire AXA, concernant la garantie des pertes d’exploitation occasionnées par les fermetures administratives durant l’épidémie de COVID-19, c’est un courant jurisprudentiel majoritaire qui va mettre en difficulté l’assureur… qui n’aura d’autre choix que d’aller jusqu’en cassation à de multiples reprises.

Il n’y a pas de hiérarchie des jurisprudences et des juges

En première approche, cet état de fait interroge. Qu’une situation a priori similaire puisse connaître une issue judiciaire différente selon la juridiction saisie ou même, à l’intérieur d’une même juridiction, heurte le principe d’égalité devant la loi.

Pourtant, cet état de fait est une illustration de la séparation des pouvoirs. L’article 5 du Code civil, inchangé depuis 1803, dispose que « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises » (Code civil, article 5).

Il est donc fait obligation au juge de ne pas s’incliner devant un précédent déjà tranché. Une décision de justice est nécessairement individualisée et n’a pas vocation à reproduire mécaniquement la jurisprudence antérieure.

Les juges des tribunaux et des Cour d’appel contre la Cour de Cassation, l’exemple des pertes d’exploitation COVID-19

Quand bien même la Cour de Cassation exerce une fonction régulatrice. Elle ne connaît pas du fond des affaires (Code de l’organisation judiciaire, article L411-2), mais vérifie, lorsqu’elle est saisie, l’application du droit par les juridictions du fond que sont les Cours d’appel et les tribunaux en première instance.

L’assureur AXA a fait l’objet de très nombreuses assignations devant les tribunaux de commerce par des restaurateurs s’étant vu refuser la prise en charge des pertes d’exploitation causées par l’épidémie de COVID-19.

L’assureur AXA a fait valoir une clause d’exclusion dont la lecture a fait l’objet d’importantes controverses devant les juridictions d’appel. Pour les restaurateurs, elle n’était pas valable car insuffisamment précise, formelle et limitée, ce qui conditionne la validité d’une clause d’exclusion en droit des assurances.

AXA va être contraint de saisir à de nombreuses la Cour de Cassation, qui va trancher en faveur d’AXA (Cour de cassation, 1er décembre 2022, n°21-19.343 ; Cour de cassation, 19 janvier 2023, n°21-21.516 ; Cour de cassation, 19 septembre 2024, n°22-21.873 ; Cour de cassation, 30 mai 2024, n°22-21.574 ; Cour de cassation, 7 novembre 2024, n°23-10.975).

Si certaines Cour reprennent finalement à leur compte la position de la Cour de cassation, parfois même en la citant (Cour d’appel de Rennes, 23 octobre 2024, n°22/00079), on dénombre plusieurs dizaines de pourvois formés par AXA devant la Cour de cassation.

Une position de principe prise par la Cour de cassation dans une affaire donnée n’entraîne pas mécaniquement une solution favorable dans tous les dossiers au profit d’AXA, qui doit exercer les voies de recours jusqu’à la cour de Cassation dans de nombreuses affaires dans lesquelles les juridictions du fond ont statué en sa défaveur, bien souvent avant même que la Cour de cassation ne statue une première fois.

Est-il possible de résister à la jurisprudence des Tribunaux et des Cours d’appel ?

Pour l’assureur AXA, lutter contre les juges des Tribunaux et des Cour d’appel a un coût élevé. Il est contraint de multiplier les procédures en appel et en cassation pour obtenir satisfaction.

L’« open data » de la justice permet également de constater l’existence d’accords amiables, dont le contenu n’est pas révélé par la décision, mais dont la conclusion pourrait être liée aux coûts à exposer par l’assureur pour exercer les voies de recours et faire tomber des décisions défavorables (voir par exemple : Cour d’appel de Montpellier, 19 novembre 2024, n°23/00681).

Nous avions déjà mis en garde concernant les risques à tenir pour acquise une jurisprudence pourtant établie face à un éventuel revirement (NORMINT, De l’art de prédire les évolutions jurisprudentielles pour la stratégie normative, Goulven Le Ny, 16/09/2024).

Cette affaire illustre le coût élevé qu’il peut y avoir pour obtenir une jurisprudence stabilisée dans un contentieux de masse. Or, et particulièrement dans un contentieux à objet financier, l’économie est déterminante.

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