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Effet Streisand et procédure judiciaire, quand le droit est rattrapé par la communication

L’effet Streisand désigne un phénomène où la tentative de cacher, censurer ou supprimer une information provoque au contraire sa large diffusion. Il tire son nom d’un cas impliquant la chanteuse Barbra Streisand, dont la plainte pour retirer une photo de sa maison a attiré l’attention sur cette image.

Peut-on imaginer les mêmes conséquences pour des poursuites judiciaires ? En cherchant à faire taire la critique et ménager sa réputation, n’y-a-t-il pas le risque de braquer un projecteur dessus ?

C’est ce qu’illustre les déboires de Body Minute, franchise d’esthétique, avec une influenceuse.

L’influenceuse et la polémique Body Minute

Depuis 2022, un conflit oppose Laurène Levy, influenceuse, et l’enseigne Body Minute après la publication d’une vidéo sur TikTok, dans laquelle l’influenceuse décrit une mauvaise expérience client dans une enseigne du réseau.

La tête de réseau aurait réagi en exerçant plusieurs voies de droit :

  • Elle aurait obtenu l’autorisation en justice de faire visiter les locaux de l’entreprise ou travaille l’influenceuse, dont l’activité est liée avec la communication, la tête de réseau suspectant une opération commandée ;
  • Elle aurait mis en demeure l’employeur de l’influenceuse, en exigeant qu’elle retire le contenu publié concernant l’enseigne ;
  • Enfin, une assignation aurait été délivrée en dénigrement commercial devant le Tribunal de Commerce de Paris, le délibéré du Tribunal étant attendu.

C’est en tout cas ce que relate la presse à ce sujet (Le Point, Body Minute au cœur d’une polémique sur TikTok, par Nora Bussigny, le 21/01/2025 à 08h00).

Les réactions judiciaires et l’effet Streisand

Ces actions, dont il impossible de connaître le bienfondé tant que la justice n’aura pas tranché le litige, ont été utilisées par l’influenceuse.

Outre qu’elle maintient son contenu initial, la réaction de la tête de réseau a conduit à un effet Streisand, en alimentant la polémique.

Elle a ainsi révélé plusieurs mails internes, qui auraient été adressés par la tête de réseau aux franchisés, leur demandant dans un premier temps de réagir, contredire et signaler le contenu, pour finalement leur demander de ne pas commenter l’affaire.

L’influenceuse a naturellement réagi via les réseaux sociaux pour révéler une situation qu’elle a décrite comme un harcèlement. En particulier, « Dans d’autres posts sur TikTok, Laurène Lévy raconte publiquement ces tentatives : «Ils ont ensuite envoyé des huissiers dans mon entreprise pour fouiller les ordinateurs afin de prouver que mon employeur m’avait demandé de dénigrer Body Minute pour le compte d’un concurrent. Sauf que c’était faux !». Elle reçoit le soutien d’internautes scandalisés, qui fustigent une tentative de museler la parole sur les réseaux sociaux. Sa vidéo originale devient virale. » (Libération, Body Minute : la justice doit trancher une polémique opposant l’enseigne et une influenceuse TikTok, 15 janvier 2025).

C’est donc la riposte judiciaire qui a alimenté la polémique au lieu de la faire taire.

Une stratégie de communication de crise mise en œuvre trop tard ?

La tête de réseau semble avoir récemment modifié sa stratégie, pour revenir sur le terrain de la communication.

On lit ainsi dans la presse : « Sur le compte officiel de Body Minute, plusieurs vidéos visiblement générées par l’intelligence artificielle ont en effet été postées depuis mi-février. «Tout, je dis bien tout, ce que vous allez entendre ou lire dans le bad buzz de Body Minute sur TikTok de la bouche des petites tiktokeuses en mal de followers est faux, inventé ou exagéré», appuie, par exemple, une femme nommée «Cruella reine de TikTok», dans ce qui semble être un deepfake » (Libération, Polémique Body Minute : sur TikTok, l’enseigne contre-attaque à coups de deepfake, 24 février 2025), ce qui n’a pourtant pas faire taire les critiques, comme le relate également Libération.

L’effet Streisand : alimenter la polémique, mais aussi s’exposer à un aléa judiciaire encore plus important ?

On apprendra dans les actualités en vidéo du journal les Echos que la tête de réseau est également sous le feu des critiques de ses franchisés, qui patissent de la viralité du contenu de l’influenceuse, et semblent en subir les conséquences économiques (Les Echos, Comment BodyMinute s’est sabordé en toute beauté, 21 mars 2025).

La journaliste évoque la situation de divers franchisés qui décrivent :

  • Des consignes de ne pas mentionner le nom de la marque quand elle publie des offres d’emploi,
  • Une fréquentation diminuée de moitié, liée à un boycott organisé sur les réseaux sociaux,
  • Des difficultés à assumer les loyers et à maintenir les chiffres d’affaires.

L’effet Streisand semble jouer à plein, et créer une pression sur les franchisés.

La journaliste va jusqu’à avancer que certains franchisés n’excluent pas à terme d’entamer une procédure judiciaire contre le franchiseur, en raison de l’image de marque dégradée par la polémique alimentée par la communication maladroite de la tête de réseau.

Avoir négligé l’impact communicationnel défavorable d’une procédure judiciaire a entraîné un effet Streisand et potentiellement des litiges futurs avec des franchisés.

Une stratégie judiciaire efficace doit tenir compte du risque d’image et des dégâts potentiels que peut occasionner une réaction qui apparaître disproportionnée, quand bien même elle serait fondée en droit. Après tout, si l’open-data donne accès aux décisions de justice défavorables (Normint.eu, La stratégie judiciaire à l’ère de l’open-data de la justice : quand la gestion du risque d’image déplace le curseur), le bienfondé en droit ne suffit pas toujours à rallier l’opinion à soi.

Il faut également bien comprendre les acteurs en présence. On peut difficilement s’étonner qu’une influenceuse réagisse sur le terrain de l’influence à des poursuites judiciaires, et cela doit donc être pesé en amont.

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