Face aux crises et aux scandales, les commissions d’enquête se multiplient à l’Assemblée nationale. Outils de contrôle du gouvernement pour certains, elles apparaissent de plus en plus comme des soupapes de sécurité institutionnelles, destinées avant tout à contenir la pression de l’opinion en lui signifiant : « Voyez, nous sommes vos élus et ce qui vous préoccupe nous touche tout autant » comme l’indique Pierre Desmarais. Entre stratégie juridique et stratégie de communication, les analyses varient… Et si la vérité était ailleurs.
Une montée en puissance trompeuse
Faut-il voir dans la prolifération des commissions d’enquête parlementaires la preuve d’un regain démocratique ? L’idée est séduisante : élus de la Nation reprenant la main sur le contrôle de l’exécutif, scandales mis au jour, débats structurés, auditions publiques, recommandations formalisées.
Pourtant, à y regarder de plus près, cette multiplication peut aussi être interprétée comme un symptôme d’impuissance, voire une stratégie de diversion. Plutôt qu’un instrument d’émancipation parlementaire, la commission d’enquête semble bien souvent fonctionner comme un outil d’absorption des tensions, instrumentalisé par l’exécutif lui-même.
Un instrument d’apaisement
L’actualité le montre : chaque fois qu’une affaire émerge – sur les crèches, l’eau en bouteille, la dette publique, la gestion d’un territoire – la mise en place d’une commission est rapidement évoquée, souvent même par des membres de la majorité présidentielle.
Officiellement, il s’agit d’informer, d’objectiver les faits. En réalité, cette réponse a une fonction bien plus pragmatique et prosaïque autrement dit extrêmement normative : elle permet d’occuper le terrain médiatique, de canaliser l’émotion, de donner le sentiment d’un traitement institutionnel sérieux.
Il s’agit d’une forme de “catharsis démocratique” qui, une fois enclenchée, dépolitise la crise, la relativise et la fait entrée dans une norme acceptable. L’opinion est invitée à patienter. Les journalistes trouvent de quoi nourrir quelques cycles d’actualité. Et le gouvernement, en creux, gagne du temps.
[Note : Sur cette notion de “catharsis démocratique”, je vous invite à relire les écrits de François Bayrou dans Résolution française : “C’est que le Parlement, ce n’est pas un théâtre d’ombres. Le Parlement, ce devrait être le lieu de l’authentiquecatharsis démocratique”.]
Une efficacité politique… sans portée juridique
Certes, comme l’a rappelé Goulven Le Ny, les commissions disposent de pouvoirs importants : audition sous serment, accès à certains documents, publication d’un rapport final. Mais ni leurs travaux, ni leurs conclusions ne s’imposent. Aucun texte n’oblige le gouvernement à reprendre leurs recommandations. Et il n’est même pas requis que la commission débouche sur un rapport : juridiquement, constitutionnellement, sa seule existence suffit.
Ce caractère non contraignant renforce le rôle symbolique des commissions d’enquête parlementaire : elles rassurent sur l’existence d’un contre-pouvoir… sans en produire les effets.
Une constitutionnalisation paradoxale
La constitutionnalisation des commissions d’enquête par la révision de 2008 (article 51-2) pourrait faire croire à leur renforcement. Elle impose leur existence au plus haut niveau du droit français. Mais cette intégration dans le cadre constitutionnel peut aussi être interprétée comme une normalisation : l’exécutif inscrit cet outil dans l’architecture institutionnelle pour mieux en maîtriser l’usage.
Le gouvernement n’a pas le monopole de leur déclenchement, mais leur multiplication – souvent sur des sujets sensibles – a rarement pour effet de bouleverser l’agenda gouvernemental. Elle accompagne les crises, elle ne les transforme pas et en deviennent quasi systématiquement non seulement le corollaire mais aussi la conclusion publique et médiatique. Le simple fait de mettre en place une commission d’enquête parlementaire serait donc un acte suffisant à lui seul à résoudre une crise.
Le simulacre du contrôle
Comme le précise Pierre Desmarais dans son texte sur NORMINT, la commission peut certes devenir un levier d’opposition, une manière de forcer l’inscription d’un sujet à l’agenda politique. Mais cette lecture suppose un Parlement fort, structuré, combatif. Or dans un paysage fragmenté, sans majorité claire et stable, ces commissions peuvent tout autant être récupérées, ou vidées de leur substance.
L’exécutif, lui, y trouve un double bénéfice : répondre à la pression sans légiférer et déporter le centre de gravité de la crise vers une scène où l’urgence est diluée dans la procédure.
Un placebo démocratique ?
La commission d’enquête n’est donc pas qu’un levier d’action parlementaire : elle tend à devenir de plus en plus souvent, voir systématiquement, un dispositif d’extériorisation du mécontentement. Une manière, pour les institutions, d’absorber les chocs en donnant l’illusion du mouvement. Un os à ronger, en somme, pour les parlementaires… et pour l’opinion.
Rien ne garantit que cette logique produise, à terme, de la confiance. Car à trop user de mécanismes sans effets, le risque est grand que chaque citoyen que nous sommes non seulement confondent consultation et action politique, mais surtout finissent par douter de l’une comme de l’autre.
N’est-il donc pas temps de redonner aux commissions d’enquête parlementaire la place qu’elles méritent en leur associant une obligation d’actions associées à leurs conclusions ?