Il est un stratagème risqué à mettre en œuvre : inciter le tigre à quitter la montagne. Concrètement, l’objectif est alors de conduire à un adversaire fort à abandonner une position avantageuse… pour triompher. « Ambitieux« , comme dirait Damien. A double tranchant, plutôt. Car parfois, sans que la victoire ne soit pour autant octroyée au tigre, le stratège perd. Illustrations.
En 1973, le géant Mitsubishi prend 49% des parts d’une usine saline installée au Mexique. Vingt ans après, écrirait Alexandre Dumas, la société sollicite des autorités locales l’autorisation d’ouvrir une nouvelle usine, évidemment en bord de mer. Pour faire avorter le projet, une association écologiste dénonce une augmentation du nombre de baleines décédées depuis l’implantation de la première usine. Le tigre – pris en la « personne » du Gouvernement mexicain – descend de sa montagne et mord à l’hameçon : une nouvelle évaluation d’impact est engagée. Le ver est alors dans la pomme, et malgré des conclusions neutres, la société – dont Mitsubishi est actionnaire minoritaire – abandonne. Pour triompher, l’association a manipulé les chiffres. Certes, plus de cétacés ont été retrouvés morts sur les plages… mais cette augmentation s’explique, mécaniquement, par une augmentation du nombre de baleines de 17 %. Etonnamment, ce taux n’a pas été médiatisé par le « plaignant« . Succès.
Bien plus récemment, les démarches d’une association militant contre les GAFAM & co permettent d’illustrer l’échec de ce stratagème. Afin de ne pas se voir accuser d’être « procédurière« , elle explique à un particulier comment mettre techniquement en évidence la non-conformité d’un site web. Quand je précise « techniquement« , c’est vraiment très particulier. Genre lire le code source d’une page web (bon courage :-P). Elle invite ensuite sa « marionnette procédurale » à saisir la CNIL locale. Résultat? Le tigre – l’autorité belge – ne se laisse pas impressionner par cet appât : le dossier est « monté » de toutes pièces et la plainte rejetée. Dans l’histoire, notre association peut s’estimer heureuse. Un juge n’aurait pas hésité à la sanctionner pour « abus de droit ». Echec, quoi qu’il en soit.
Quelle différence entre ces deux espèces ? Au moins deux.
L’association outre-atlantique a joué sur le plan médiatique. Elle a exploité les vulnérabilités cognitives de l’opinion publique pour faire plier le géant industriel nippon. A l’inverse, l’association européenne n’a joué que sur le terrain juridique, espérant sans doute pouvoir se targuer d’une décision positive. En clair, le distinguo tient à l’activation d’un levier sur le Gouvernement mexicain : il lui aurait vraisemblablement été reproché d’avoir amenuisé l’impact écologique d’une nouvelle usine, « au vu des chiffres »… tronqués.
Deuxième dissimilitude : au Mexique, l’association a engagé un unique combat contre le projet de Mitsubishi. Alors qu’en Union Européenne, notre association multiplie les actions. Dans un tel contexte, le point culminant – mais si, Laurent vous en a déjà parlé ici – de sa stratégie aurait dû être mesuré à l’aune du « ras le bol » des juges (très étonnamment, ils n’aiment pas se sentir instrumentalisés. Etrange, non ?), et non pas des seuls directives et règlements de l’Union Européenne.
Le bon sens – bien, et même trop, réparti selon Descartes – est le meilleur arbitre, pour décider de s’engager sur la voie du 15ème stratagème. Si le mécanisme est cousu de fil blanc, le tigre flairera le tour pendable… et le stratège se retrouvera le bec dans l’eau!