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Gouvernement démissionnaire : Pouvoirs, limites et enjeux stratégiques

La démission du gouvernement le 16 juillet dernier mais également l’absence de nomination immédiate d’un nouveau gouvernent a remis à l’ordre du jour la notion d’affaires courantes.

Cela a rouvert plusieurs débats constitutionnalistes. Mais cela peut aussi éclairer sur les objectifs stratégiques à la tête de l’Etat. Car comme le rappelait Pierre, la semaine dernière, « la certitude de l’incertitude conduit à la stratégie ».

En premier lieu, de quels pouvoirs le Gouvernement démissionnaire dispose-t-il ?

Même démissionnaire, un gouvernement se doit d’assurer la continuité de l’Etat. Ses membres restent en fonction, dans l’attente d’une nouvelle équipe gouvernementale. Mais comme le suggère l’expression « affaires courantes », ils voient leurs compétences limitées, selon « un principe traditionnel de droit public » (CE, Ass., 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, Rec. p. 210 ; CE, 19 octobre 1962, Brocas, Rec. p. 553), aux questions « de la vie quotidienne » d’un Etat. L’adjectif « courant » doit donc être interprétée avec souplesse. En 1962, prendre un décret  organisant le référendum sur l’élection du président au suffrage universel a ainsi été considéré comme nécessaire à la continuité de l’Etat (CE, 19 octobre 1962, Brocas). Même solution en 2024 : s’il n’est pas courant de voir les lignes à grande vitesse du réseau ferré attaquées de façon coordonnée, le Ministre des Transports est évidemment habilité à gérer la crise.

La question est alors de savoir combien de temps la situation peut perdurer.

Aucun texte ne fixe réellement la durée d’exercice d’un gouvernement démissionnaire. Aucune procédure spécifique n’est notamment prévue tant dans la constitution que dans les lois organiques. Pourtant, la difficulté est connue : une telle période d’incertitude a pu se prolonger 64 jours sous la IVème République. Et jusqu’à 18 mois en Belgique. Mais ce silence textuel n’est pas une omission, mais une preuve de réalisme du constituant. Fixer un délai pourrait nuire à la continuité de l’Etat en créant une carence du pouvoir exécutif.

Les démissionnaires peuvent-ils être députés ?

La situation pose une difficulté concernant certains membres du gouvernement démissionnaire qui ont été élu député en parallèle. Ils cumulent ainsi des fonctions liées au pouvoir exécutif et au pouvoir législatifs, ce qui se heurte à un principe fondamental de nos institutions. Mais en Allemagne, par exemple, un tel cumul ne pose pas de difficultés sous réserve des articles 66 et 53 de la loi fondamentale allemandes.

Le droit français interdit normalement un tel cumul en application de l’article 23 de la constitution. Toutefois, l’article LO 153 du Code éléctoral précisant ces dispositions prévoit que ladite incompatibilité prend effet « à l’expiration d’un délai de un mois à compter de la nomination comme membre du Gouvernement ». Au cours de ce laps de temps un membre du gouvernement, toujours député, « ne peut prendre part à aucun scrutin et ne peut percevoir aucune indemnité en tant que parlementaire ». Reste que le même article prévoit enfin que l’incompatibilité « ne prend pas effet si le Gouvernement est démissionnaire avant l’expiration dudit délai ».

Ce texte semble donc permettre aux membres d’un gouvernement démissionnaire à exercer la plénitude de leurs fonctions parlementaires tout en n’étant pas soumis aux règles liées à l’incompatibilité fixée par l’article 23 de la constitution. Néanmoins, aucune décision juridictionnelle n’a confirmé cette solution pour le moment. Le Conseil constitutionnel saisi sur point dans le cadre d’une contestation de l’élection de la Présidente de l’Assemblée nationale a refusé de se prononcer dès lors que cette question ne relève pas de sa compétence (C. consti,  n° 2024-58/59 ELEC du 31 juillet 2024 ; le Conseil constitutionnel aura à se prononcer à nouveau sur cette question en raison d’une nouvelle saisine le 1er août 2024, saisine 2024-60 ELEC ;  mais au regard de la précédente décision l’interprétation retenue risque fortement d’être confirmée).

Reste que le Conseil constitutionnel peut être amené à restatuer sur cette question dans le cadre de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité introduite dans le cadre d’un recours contre le décret « Données opérationnelles de cyberdéfense » pris par le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur le 19 juillet 2024. 

Toutefois, la recevabilité de cette question prioritaire de constitutionnalité interroge dès lors que la séparation des pouvoirs se rattache difficilement aux droits et libertés garantis par la Constitution. 

Par ailleurs, si la question prioritaire de constitutionnalité vise l’article LO 153 du Code électoral, ces dispositions issues d’une loi organique ont été validées par le Conseil constitutionnel (§ 60 C. consti n° 2013-675 DC du 9 octobre 2013 ; les lois organiques contrairement aux lois ordinaires sont toutes examinées par le Conseil constitutionnel avant leur promulgation en application du 5ème alinéa de l’article 46 de la constitution). Or, une juridiction saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité ne peut la transmettre au Conseil constitutionnel que dans l’hypothèse où la loi visée par le recours « n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnelsauf changement des circonstances » (Article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel). Cette condition s’impose également au Conseil constitutionnel saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (Article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel). Seul un changement de circonstances de droit (C.consti, n° 2012-233 QPC du 21 février 2012, Mme Marine LE PEN) ou de fait (C. consti, n° 2010-14/22 du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres) permet de faire exception à ces principes. Mais, d’une part, il n’y a pas eu de réel changement de droit depuis 2013 (le texte de la constitution n’a évolué depuis cette qu’en intégrant le droit à l’avortement parmi les droits constitutionnellement garantis, révision du 8 mars 2024). D’autre part, le changement de fait n’a été reconnu que par trois décisions depuis la création de la question prioritaire de constitutionnalité (C. consti, n° 2010-14/22 préc. ; Ce, 20 avril 2011, n° 346204 et 346460 ; CE, 25 mai 2020, n° 440335) ; la recevabilité d’une question prioritaire de constitutionnalité est très incertaine.

En tout état de cause, le délai de traitement de ce contentieux risque de laisser la question en suspens pendant plusieurs mois. L’intérêt du recours pourrait donc se limiter à l’avenir

Une possible utilisation stratégique de la qualité de démissionnaire ?

Peu probable, du côté du Gouvernement. En dehors des affaires courantes, impossible de prendre des actes réglementaires (CE, Ass., 4 avril 1952, préc. : décret transposant une loi en Algérie). Et il est évidemment exclu de déposer un projet de loi. Une tentative de passer outre le cloisonnement des pouvoirs législatif et exécutif paraît exclue. Par ailleurs, la « perte » du droit de nomination, en principe (CE, 28 octobre 1983, Salviat, n° 35853), écarte – ou, à tout le moins – réduit le risque d’une stratégie personnelle. Au temps pour le chef du Gouvernement.

En revanche, du côté du chef de l’Etat, la lecture de la situation est différente. Cette période d’incertitude pourrait lui permettre de disposer d’une période d’attente avant de nommer un gouvernement et, même de mettre en œuvre le 9ème stratagème (observer l’incendie sur la berge d’en face) en laissant ses adversaires s’épuiser, pour conforter l’assise de sa majorité.

Si c’était l’objectif de la dissolution, c’était osé, mais subtil.

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