La stratégie normative, chez NORMINT, nous l’appréhendons comme l’utilisation seule ou en conjonction de normes d’un ou plusieurs types.
La très récente dissolution de l’Assemblée Nationale par le Président de la République s’avère à cet égard le parfait moyen d’illustrer – à tout seigneur tout honneur – le 1er des trente-six stratagèmes : « Traverser la mer, sans que ne le sache le ciel ».
Le soir du 9 juin, le PR annonce son intention et signe le décret. Celui-ci n’est publié au Journal Officiel qu’en fin de journée, le lendemain, 10 juin 2024.
Soixante députés ont exploité ce laps de temps pour déférer la « petite loi » visant à prévenir les ingérences étrangères en France au Conseil Constitutionnel. Une petite loi jugée capitale à l’aube des JO 2024, une petite loi jugée attentatoire aux libertés civiles, en ce qu’elle renforce la « surveillance algorithmique » (Art. L2321-2-1 du code de la défense, L33-14 et L36-14 CPCE et L851-1 CSI).
La question sous-jacente est celle de la recevabilité de la saisine du Conseil Constitutionnel. Les députés pouvaient-ils valablement le saisir alors que l’annonce avait été faite et le décret signé, mais non publié?
En règle général, les actes administratifs comme les décrets entrent en vigueur le lendemain de leur publication (Art. 1er CC et L221-2 CRPA). Cela tendrait à conclure à la recevabilité du recours, la dissolution n’étant ainsi effective qu’au matin du 11 juin.
Certes, mais comme l’a rappelé le Conseil Constitutionnel à propos des délais minimaux pour tenir les élections, les pouvoirs du Président de la République échappent – sur ce point en tout cas – au droit commun électoral (Décisions n° 81-1 ELEC du 11 juin 1981 et n° 88-4 et 88-5 ELEC du 4 juin 1988). Le droit commun s’applique-t-il quant à l’opposabilité d’un décret de dissolution? La question n’a jamais été tranchée à ce jour. Lors des cinq précédents, le Conseil Constitutionnel n’a jamais été saisi.
Le doute demeure. D’ailleurs, c’est probablement ce qui a (juridiquement) empêché de prendre un décret permettant l’entrée en application immédiate du décret.
L’enjeu est de taille : si la saisine tombe, la loi peut être promulguée intégralement. Dans le cas contraire, la décision à venir du Conseil Constitutionnel s’imposera. Certes, l’objectif (principal) n’était pas celui-ci. Mais connaissant l’appétence du Président de la République pour l’ambigüité stratégique (Emmanuel Macron, les alliés et l’ambiguïté stratégique), il est peu probable que cette opportunité n’ait pas été prise en compte.
Cette arme constitutionnelle – elle remet en cause le pouvoir législatif par la démocratie représentative, tout de même – représente l’ultima ratio. Sa lourdeur, ses conséquences, ses risques en atténuent les possibilités d’usage.
Mais, le recours à l’effet d’annonce pour pallier les délais de parution au JO est mise en oeuvre dans bien d’autres domaines. Prenez le droit dérivé des autorités administratives indépendantes. Il se passe régulièrement des mois entre la délibération et sa publication. Dans ce contexte, les procédures de « consultation », non content (ou « plutôt que ») de recherche une coconstruction du droit, invitent usagers et administrés à anticiper l’évolution réglementaire.