TikTok suspendu pendant toute la durée de l’état d’urgence en Nouvelle Calédonie.
Une décision surprenante, attentatoire aux droits et libertés fondamentaux diront les uns. Une nécessité pour sauvegarder des droits plus fondamentaux encore que la liberté d’expression, diront les autres.
Et que pourrait nous apprendre une analyse stratégique de la situation? Si je me réfère à notre vieil et inconnu ami, auteur des 36 Stratagèmes, plusieurs sont susceptibles de s’appliquer. Amateurisme, crédulité ou – au contraire – prise d’un recul nécessaire à l’appréhension de la totalité de la situation, je ne sais pas. Reste que votre débiteur a choisi de retenir le 19ème « Retirer le feu sous le chaudron ».
Explications.
Alors que la Nouvelle Calédonie s’embrase – et l’objectif de ce post n’est en aucun cas de donner un avis sur le projet de loi constitutionnelle – le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères du Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (VIGINUM) alerte sur une ingérence azerbaïdjanaise via les réseaux sociaux Facebook et Twitter (désolé, je suis old school).
L’objectif poursuivi par l’initiateur de cette action d’influence est manifeste, à la lecture de la phrase accompagnant les publications manipulées : « La police de France est assassin en NouvelleCalédonie ». Non, la police française n’a tué personne. Encore moins avec préméditation (condition nécessaire pour retenir le crime d’ « assassinat »). Oui, une instance cachée derrière de faux comptes met de l’huile sur le feu et attend – provoque? – l’escalade.
Escalade qui malheureusement arrive et contraint les pouvoirs néo-calédoniens – pourtant autonome sur le sujet – ont sollicité le Gouvernement pour action. La décision n’a pas tardé : TikTok a été suspendu pour la durée de l’état d’urgence, sur ce territoire, tout en ayant de discrets échanges avec les services du Premier Ministre (La Lettre – TikTok joue la discrétion sur demande du gouvernement).
S’en est suivi un référé-liberté, sur la requête de plusieurs personnes attachées aux droits fondamentaux et à la liberté d’expression. Celles-ci arguaient que le lien TikTok / ingérence étrangère n’était pas établi.
Certes.
Pour autant, la prépondérance de ce réseau social – au demeurant très contesté, sinon menacé, il y a encore quelques semaines – parmi les adolescents et jeunes majeurs est indéniable.
Faisant preuve d’un certain principe de réalité, le juge des référés du Conseil d’Etat a donc fait le choix – le 24 mai 2024 – de considérer que les requérants n’établissaient pas une extrême urgence à intervenir. De façon plus concrète, le Conseil d’Etat a nécessairement dû considérer qu’à supposer établie une atteinte à la liberté d’expression, le maintien des autres médias de communication et la nécessité de faire diminuer la pression – rappelons que l’atteinte au droit à la vie et au droit de propriété rivalisait avec la liberté en cause – suffisait à l’écarter. Malheureusement, l’absence d’argumentaire sur ce point est dû à ce que l’on appelle – en application d’une jurisprudence traditionnelle en matière de contentieux administratif – « l’économie des moyens ». Celle-ci dispense le Juge administratif de statuer sur tout autre moyen que celui utile à la prise de sa décision.
Certes, il aurait été possible de voir dans cette décision un « ballon d’essai », a fortiori à quelques semaines des JO. Peut-être est-ce une application de « faites du bruit à l’Est et attaquez à l’Ouest » (6ème) ou du jet d’une brique pour obtenir du jade (17ème)… Peut-être, oui.
Reste qu’en pratique, retirer le feu sous le chaudron a permis de ne pas avoir à prolonger l’état d’urgence.