Après près de 5 000 ans d’existence documentée, le droit est érigé, en 2001, en arme de guerre par le général américain Charles Dunlap. L’initiative est rapidement imitée par la Chine dont l’Armée Populaire lance, en 2003, les « Trois Tactiques ». Rien d’étonnant à ce mouvement, pour les praticiens du droit humanitaire qui connaissent trop bien les tactiques telle que le « knocking on the roof ».
Rapidement, le concept de droit international public s’immisce dans le droit international privé, avec par exemple une instrumentalisation croissante du droit américain pour acquérir les pépites françaises, puis dans le droit interne. La scène nationale est en effet le théâtre d’opérations de guerre économique où le droit devient un levier d’importance. En 2010, Le Professeur Warusfel dégage ainsi le concept d’intelligence juridique, qu’il définit comme l’ensemble des techniques et des moyens permettant à un acteur privé ou public de :
- Connaître l’environnement juridique dont il est tributaire ;
- Identifier et anticiper les risques et les opportunités potentielles ;
- Agir sur son évolution;
- Disposer des informations et des droits nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre les instruments juridiques aptes à réaliser ses objectifs stratégiques.
A cet égard, l’Assemblée nationale en fournit de nombreuses illustrations au travers des auditions de la Commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, clôturée le jeudi 1 juin 2023. La loi, les textes, l’extra-territorialité reviennent comme des leitmotiv au fil des interventions.
L’évolution légistique – sur le théâtre français comme européen – suggère que ce concept est désormais trop étriqué. Economie des forces ou incapacité à s’abstraire de la technique, le législateur national comme les autorités de l’Union tendent désormais à reprendre, voire à renvoyer à des normes posés par des organismes internationaux. Dans certains domaines, la dépendance aux « normes » est telle que l’Etat français subventionne l’acquisition des documents, pour contourner l’obstacle de l’accès libre et gratuit au droit (CE, 28 juillet 2017, n° 402752 ; CJUE, 5 mars 2024, Public.Resource.Org Inc. Right to Know CLGc / Commission européenne, n° C‑588/21).
En parallèle, certains acteurs ont réussi à imposer leur référentiel – distinct de la norme en ce qu’il n’est pas discuté, mais purement et simplement imposé par son auteur. L’acteur le plus connu est le PCI Security Standards Council, dont le PCI-DSS conditionne désormais de façon sine qua non l’accès au e-commerce.
Etats et entreprises avaient de toute évidence anticipé cette évolution. Tous ont bien compris que faire retenir comme norme internationale un standard national permet sinon d’obtenir l’hégémonie, à tout le moins de mettre fin à un règne (Les normes VCD et CD-V).
Désormais, c’est donc la norme – au sens général – qui doit être considérée comme un actif actionnable par les opérateurs économiques, les organisations non gouvernementales, les Etats et même les particuliers. Et cette exploitation peut intervenir à différents niveaux, et sous différentes formes.
L’étude et la pratique des modalités d’exploitation de la norme ne sont pas l’apanage des praticiens du droit. Historien, enseignant, économiste, sociologue, communicant… tous les secteurs d’activité touchés par la norme sont concernés.
Et comme le droit est partout…
Devant un tel constat, notre équipe s’est constituée avec pour objectif de créer, développer et éprouver – puisse Molière nous pardonner – le NORMINT, acronyme désignant la normative intelligence.